Le BERCEAU des ROSSET
LE BERCEAU DES ROSSET
«O fortunatoi nimium sua si Lena norint Agricoles!»
Je suis arrivé à retrouver le berceau des Rosset, le berceau proprement dit, le coin de terre d’où nous descendons, d’où vient notre sang et notre nom. La souche.
Je crois en effet que je puis prétendre être arrivé au «berceau» lorsque je constate que mes ancêtres, en ligne directe, ont vécu pendant plus de deux siècles dans le même petit hameau, constitué par quelques maisons rassemblées dans le creux d’une vallée qu’entourent des montagnes abruptes, qui l’isolent, pour ainsi dire, du reste du monde.
Le ROSSET le plus ancien auquel je remonte est né vers l58o dans le petit village du Moutaret, en Dauphiné, à l’extrême limite Nord Est du Grésivaudan, à 200 mètres de la frontière qui séparait la France d’alors des États Sardes. Le village du Moutaret est perdu à 600 mètres d’altitude, au pied des sommets les plus élevés de la chaîne de Belledonne, qui dressent à cinq kilomètres à l’Est une muraille pratiquement infranchissable de 3.000 mètres de haut.
Les ancêtres de ce Rosset avaient certainement vécu de tout temps sur ce sol pauvre, au rude climat. On ne vient pas s’établir par plaisir en pareil endroit. On y vit parce qu’on y est né, parce que les parents y sont nés, et qu’on est trop ignorant du monde extérieur pour envisager de quitter le bout de terre ingrat où le sort vous a jeté.
A cinq kilomètres au Nord Est du Moutaret, dans l’ancien royaume Sarde par conséquent, un hameau de quelques maisons s’appelle encore Mont Rosset. Il est situé sur une petite élévation qui doit probablement son nom à celui de nos ancêtres qui s’y arrêta pour y planter sa tente.
Notre berceau est donc cette vallée, à cheval sur la frontière entre la Savoie et le Dauphiné. Les cinq kilomètres qui séparent les deux hameaux où je repère la présence de nos ancêtres font que nous sommes d’origine savoyarde ou dauphinoise selon que le lieu d’où nous procédons est Mont Rosset ou Le Moutaret. Mais Savoyards ou Dauphinois, Sardes ou Français, cinq kilomètres près ne modifient pas le caractère ethnique de nos ancêtres, et il est infiniment probable d’ailleurs, que l’origine commune des Rosset et de Mont-Rosset est antérieure aux évènements qui ont donné ces noms successifs aux habitants de la même région, lesquels étaient et sont restés des Allobroges, ces rudes montagnards gaulois qui donnèrent tant de fil à retordre à Jules César.
En tout cas c’est en Dauphiné, dans le petit village du Moutaret que j’ai pu constater, sur actes d’État Civil, la présence pendant deux siècles et demi de nos ancêtres directs. Un seul déplacement, pas bien considérable, pendant tout ce laps de temps: celui de l’ancêtre Clément VI, lequel quitte le Moutaret pour aller se marier au hameau voisin de Mongaren, à exactement 1.200 mètres plus loin. Sans doute ne pouvait-il plus trouvera se marier dans son village natal. On remarque en effet, quand on examine les documents d’État Civil, que ces hameaux, tant le Moutaret que Mongaren, qui devaient compter à peine une centaine d’habitants à l’époque, ne comprenaient que trois ou quatre familles dont les alliances s'enchevêtraient, se superposaient. Clément VI, pour échapper à ces mariages entre cousins presque germains, les Rosset, Charot, Fassioz, finissent par être tous parents très rapprochés, va donc se marier à Mongaren en l744. Son petit-fils Barthélemy y meurt en 1836, époque à laquelle je m’aperçois que la situation est redevenue à peu près la même à Mongaren qu’elle l’était au Moutaret un siècle auparavant: il n’y a plus en effet dans ce hameau que trois familles qui entremêlent leurs alliances fautes d’apport extérieur. Car qui viendrait s’établir dans ce pays perdu? Et les Rosset, Tissot et les Brutin, continuent à se multiplier entre eux, très rapidement, car les enfants sont nombreux. Légitimes et illégitimes d’ailleurs: notre ancêtre Clément VI, pour ne citer que celui- là, a eu successivement quatre enfants d’une première femme, puis une fille illégitime, du vivant de sa femme, avec sa propre servante qu’il épousera par la suite deux mois après la mort de sa femme, puis quatre enfants avec sa seconde épouse, et enfin deux autres enfants illégitimes, du vivant de celle-ci, nés d’une sœur ou cousine de sa première femme. Il est à signaler que la servante épousée, la propre grand-mère de notre arrière grand-père Clément VIII était elle même la cousine de la première femme de son mari. Cousine pauvre? Ou bien servait-on les uns chez les autres suivant les besoins de chaque famille?
Cette histoire de Clément VI, le décompte de sa progéniture. ont un parfum biblique. N’oublions pas que nous sommes en l750, dans un hameau perdu du Grésivaudan, loin des conventions sociales dont le besoin ne se faisait peut-être pas autant sentir à Mongaren qu’à Versailles ! C’est d’ailleurs toujours le même curé, l’excellent M.Rome, qui baptise indistinctement les enfants légitimes et adultérins de Clément VI, qui marie «honnête Clément Rosset » avec son ex-servante Thérèse Chaney le 30 octobre 1755, après avoir enterré la première femme dudit Clément le 10 août de la même année, s’apprêtant a baptiser le 7 novembre, toujours de la même année, le jeune Claude, enfant tout juste légitime (il était moins cinq, ou plutôt moins huit jours!) de Clément et de Thérèse. Ces derniers, les propres grands-parents de notre arrière-grand-père, avaient eu auparavant un enfant, né le 22 janvier l751, tout à fait contemporain d’un autre enfant né le 10 août 1754 du mariage légitime de Clément et de sa première femme. Le rapprochement de toutes ces dates est particulièrement éloquent. Mais, est-ce piété filiale? je ne trouve rien que de très naturel sans jeu de mots dans.tous ces évènements et dans toutes ces naissances. L’œil de Dieu n’était pas choqué lorsque, aux premiers temps de notre ère, pour assurer la multiplicité voulue par Lui, nos premiers parents et leur descendance immédiate suivaient l’injonction divine, sans s’embarrasser de détails de parenté et de convenances. Les questions sentimentales, ce poison de la civilisation, ne préoccupaient pas nos ancêtres. Et je suppose que personne ne songeait à rire ni à se scandaliser lorsque le 30 octobre l755 notre ancêtre Clément VI conduisait à l’autel notre aïeule, alourdie parle fils qu’elle devait mettre au monde huit jours plus tard. Il est à signaler toutefois et je pense que cette remarque sera particulièrement goûtée par ma sœur Anne-Marie que le fils de Clément de qui nous descendons nous-mêmes, Barthélemy, le grand-père de notre grand-père Alfred, est né le 24 novembre l756, plus d’un an après le mariage de ses parents. Réjouissons-nous de cette incontestable légitimité.
Une preuve de ce caractère patriarcal et parfaitement honnête de nos ancêtres nous est fournie par un détail du texte de l’acte de baptême de Marie Rosset, onzième enfant de Clément VI. Il y est dit en effet que «le 7 février l763 a été baptisée Marie Rosset , fille illégitime de Clément et de Marie Brutin. Le dit père a déclaré en présence de Pierre Pernet et Pierre Perrier que cette enfant, née la veille, lui appartenait . » C’est beau comme de l’antique. Et c’est toujours le même excellent curé M.Rome qui enregistre l’acte. Ah! non, cette fois-ci il s’est fait remplacer. Trouvait-il que Clément Rosset exagérait? On lit en bas de l’acte «... en foi de quoi j’ai signé Piaget pour M. Rome malade».
Dans ce même ordre d’idées il est à signaler que le fils de Clément VI, notre ancêtre Barthélemy II (je leur assigne un numéro d’ordre pour la clarté du récit, et pour faciliter la lecture du tableau généalogique), notre ancêtre Barthélemy II a eu lui aussi une fille illégitime, née de Charlotte Tissot quatre ans avant son mariage avec notre arrière-arrière-grand’mère Louise Grollet, de qui il a eu par la suite quinze enfants dont notre arrière-grand-père, Clément VIII, est le premier né. Tout est donc absolument légitime dans notre descendance, ô Anne-Marie. C’est tout juste, mais c’est indiscutable. Le mariage de nos arrière-arrière-grands-parents est du 10 février 1789, et notre arrière-grand-père Clément VIII est né le 8 novembre de la même année. A remarquer en passant cette prédilection qu’ont les femmes des Rosset de la ligne directe pour mettre leurs enfants au monde en novembre. Barthélemy IL| est né le 24 novembre, Clément VIII le 8 novembre, je suis né moi-même le 20 novembre, et deux de mes fils sont nés respectivement le 22 et le 30 novembre
Je ne veux pas terminer cette digression sur les naissances Rosset sans rappeler la phrase qu’écrivait ce même Barthélemy II à son fils Clément, établi à la Réunion, et où il disait qu’il était de tradition dans la famille d’avoir beaucoup d’enfants et peu d’argent. Le tableau généalogique est éloquent à cet égard. Clément VI le père de Barthélemy a eu onze enfants. Barthélemy lui-même en a eu seize, et si mon père n’en a eu que six, son frère, mon oncle Georges Rosset , en laissait douze à sa mort en 1935. Mon pauvre oncle Georges, disparu prématurément, aurait peut-être battu le record de nos grands ancêtres. La remarque de Barthélemy ne doit donc pas être taxée d’exagération , ni quant au nombre des enfants, ni quant au manque d’argent à ce qu’il semble. Nos ancêtres Rosset vivaient en effet des maigres fruits de cette terre ingrate qu’ils travaillaient de père en fils sans arriver à l’améliorer, et pour cause. Le Moutaret et Mongaren, sont au milieu d’un massif montagneux, où la végétation doit être extrêmement pauvre.
Note de Bernard Rosset: ce Georges était mon Grand-père et mon père Michel était le 3ème des 12 enfants ! Il en a eu 7 lui-même !
Il est à signaler, d’ailleurs, que presque tous ces Rosset sont illettrés. La plupart des actes que j’ai consultés se terminent par la phrase rituelle: «... aucun des assistants ou témoins n’ayant signé, de ce enquis et requis, pour ne sçavoir ». Quelques exceptions néanmoins: se distinguant de ses frères et cousins, notre ancêtre direct Barthélémy II sait signer ainsi que son père Clément et que son oncle Pierre. Où et comment avaient-ils appris? J’ai sous les yeux un dessin représentant «Le Maître d’école Dauphinois en l84o», soit un siècle plus tard, et ce brave magister, vêtu comme un marchand ambulant, tient un paquet de livres et une écritoire à la main et porte sur l’épaule, dans un petit baluchon fait d’un mouchoir à carreaux noué au bout d’un bâton, les provisions indispensables pour la randonnée de bourgade en bourgade à travers les montagnes de ce pays. 11 devait être presque miraculeux à cette époque, qu’un fils de montagnard illettré apprît à lire!
J’ai dit plus haut que c’était à cette situation exceptionnellement retirée et éloignée du reste du monde que notre famille a dû de pouvoir rester attachée au même coin de terre jusqu’à la fin du l8ème siècle, sans chercher à en sortir. En effet aussi loin que j’aie pu remonter dans les archives de la région, je constate la présence continue de ces Rosset dans le même village. Et c’est ce qui me fait dire que je suis bien arrivé au berceau de la famille. Toute famille a un berceau: c’est l’endroit de la terre où était la souche et d’où est issue la descendance souvent nombreuse, disséminée, que le hasard et les circonstances ont répandue sur la surface du globe. Le berceau, c’est toujours à la campagne qu’on le retrouve, car c’est le coin de terre que cultivait ce paysan dont tous nous descendons. On le retrouve, ce paysan, quelquefois à quatre, cinq,dix, vingt générations avant soi, mais on doit toujours y arriver, dût-on pour cela remonter plusieurs milliers d’années en arrière. Il est difficile actuellement, depuis la Révolution notamment, de retrouver le berceau de famille, tant les circonstances de l’existence ont changé, permettant, exigeant même souvent les exodes, les expatriements lointains. Dans les milieux évolués, éloignés de la terre depuis plusieurs générations, combien de nos contemporains peuvent-ils mettre le doigt sur une carte et dire: «C’est de là que je sors?».
Je considère comme une chance exceptionnelle d’avoir pu remonter à nôtre origine. Les bourgeois parisiens que sont devenus les Rosset, ingénieurs, industriels, ont pu rétablir la liaison dans le temps et dans l’espace avec leurs ancêtres de la souche, pasteurs ou cultivateurs Dauphinois, établis dans ce coin perdu des Alpes depuis les temps les plus reculés. Et c’est avec une émotion presque religieuse que je rassemble ces maillons qui assurent la continuité de la chaîne, maillons que mes recherches m’ont heureusement permis de reconstituer. Nous nous donnons la main jusqu’en l58o! Et si l’absence de documents m’empêche de remonter plus haut, je crois néanmoins être arrivé aussi loin qu’il était intéressant de le faire, puisque la présence du berceau de la famille dans ce bout de vallée du Grésivaudan semble bien prouvée. Si je puis découvrir un jour de nouvelles sources, dans des archives plus anciennes, dans les minutaires notariaux de la région, j’ajouterai certainement quelques prénoms sur le tableau de la branche ascendante directe. Et je pourrais même théoriquement arriver ainsi jusqu'au premier Rosset si les documents existaient. Mais ces documents n’existent pas, et je crois qu’il est pratiquement impossible de remonter plus loin que le quinzième siècle quand il s’agit d’une lignée de paysans dont aucun représentant n’a dû atteindre à une célébrité suffisante pour que son nom soit consigné dans les annales militaires ou civiles où l’on retrouve la trace des individus que quelque fait remarquable a désignés à l’attention de leurs contemporains. Si l’un des Rosset de la branche directe s’était distingué d’une façon ou d’une autre, il serait sorti de sa médiocre condition, et aurait sans doute quitté le Moutaret pour n’y plus revenir.
Cette étroite vallée des Alpes a donc bien été le berceau des Rosset. L’origine même de notre nom prouve que l’ancêtre patronymique des Rosset vivait dans cette région de l’Est Dauphinois. Car de même que nous avons tous un berceau de famille, coin de terre que cultivait le paysan que nous avons eu tous pour ancêtre, de même nous avons tous eu un ancêtre patronymique, celui qui a porté le premier le nom que nous portons aujourd’hui plus ou moins transformé. La plupart des noms de famille sont des noms de lieux, lieux propres ou lieux communs. Le premier Dubois, a été un tel qui vivait là bas, dans le bois. D’autres noms de famille sont des distinctifs appliqués aux individus dont certaines particularités physiques étaient emblématiques. Legrand, c’était celui qu’on était sûr de désigner sans confusion possible entre gens du même village quand on disait: «As-tu vu le grand?»
Notre nom appartient à cette seconde catégorie. Notre ancêtre patronymique était roux, et dans ce pays Dauphinois, où la race est brune, la présence d’un homme au poil rouge était à ce point insolite que l’appellation de «Rouge» qu’on lui donna fut certainement assez précise pour que son entourage le reconnût à ce seul qualificatif. Le nom lui en resta, à lui et à ses descendants. Cet ancêtre patronymique vivait à une époque extrêmement éloignée. Son nom même le prouve. En effet s’il était né après le onzième siècle, à l’époque où la langue romane se transformait en français, on l’eût appelé Leroux, Lerouge, comme tant d’autres ancêtres patronymiques datant de cette époque. L’absence d’article dans le nom (Le, Du, Au) prouve une origine plus ancienne. Rosset, comme Rousset, c’est la transformation dans notre parler du Russus latin. L’ancêtre roux fut-il appelé Russus à l’époque de la domination romaine, ou fut-il tout de suite un Rosset, ainsi désigné en un idiome bas-latin dans la première moitié de notre ère par les hommes bruns au milieu de qui il vivait? Toutes les hypothèses sont permises. A signaler seulement que si les Rousset, Rousselot, Rousselet et autres qu’on rencontre dans toute la France sont aussi, comme les Rosset, des descendants d’hommes roux, on ne trouvera de Rosset que sur les confins de la Savoie, là où la déformation de la langue latine originel le conduira aux mêmes caractéristiques phonétiques que celles que l’on retrouve en Italie. Rouée se dit en effet «rosso» de l’autre côté des Alpes .
Malgré l’ancienneté de son origine, il semble bien que la caractéristique physique qui est la cause déterminante du nom donné à notre ancêtre patronymique subsiste encore de nos jours, et se soit transmise dans la famille à travers les siècles, atténuée seulement dans ce sens que le roux est devenu blond. Les Rosset sont en effet tous plus ou moins blonds. Tous ceux que je connais sont blonds, mes trois fils sont blonds, et moi-même qui suis brun je suis né absolument blond doré. Les Rosset les plus bruns naissent blonds. Ne serait-il pas amusant de penser que l’origine de cette blondeur persistante se confond avec celle même de notre nom ?
Une autre caractéristique de la famille est fournie par le prénom Clément. Six Rosset de la branche directe l’ont porté en deux siècles. Mon grand-père Alfred s’appelait Clément-Alfred, et trois de ses sœurs, sur quatre, avaient parmi leurs prénoms celui de Clémence. Deux ou trois autres noms reviennent assez fréquemment: Barthélemy, Claude et Claudine, François et Françoise. Ce sont là les prénoms de la famille et il est curieux de constater que, sans l’avoir recherché le moins du monde, puisque mes découvertes sont toute récentes, j’ai épousé une Claudine, et que j’ai donné à ma fille aînée, la première née des Rosset de la nouvelle génération, le nom de Françoise qu'ont porté plusieurs de ses aïeules.
Mais le prénom chef, celui qui s’est donné de père en fils dans les débuts, c’est Clément. Descendons-nous d’un Clé-mens, devenu quelques générations plus tard un Clément Russus? Je ne sais, mais j’aime à l’imaginer, et je me plais à retrouver dans les Rosset d’à présent les qualités qui caractérisaient déjà notre ancêtre et qui lui valurent ce nom de Clémens ou de Clément qu’il a transmis à ses descendants. J’ai toujours été frappé de retrouver chez la plupart des Rosset un trait commun, qui est une bonté paisible, une tendance naturelle à comprendre et à excuser son prochain, une absence totale d’acrimonie. Nous n’en avons jamais voulu à personne, nous ne nous connaissons pas d'ennemis. Il ne nous viendrait pas à l’esprit de faire du tort ou de la peine à qui que ce soit, et je crois que nous préférerons toujours rester là où le sort nous a placés plutôt que de faire un pas si ce pas risquait de porter préjudice au voisin. Autre particularité: nous n’avons pas l’esprit guerrier. La joute, comme le panache, n’ont pas d’attrait pour nous. Et ce n’est pas, je crois, que nous soyons comme Panurge, qui craignait naturellement les coups, ni que nous partagions le penchant égoïste du «Suave mari magnum». Non, mais c’est que la violence et le bruit nous déplaisent. Nous ne sommes pas nés belliqueux, et nous restons impassibles là où d’autres s’enflamment. Nous sommes des paisibles, des calmes, des cléments. Ne dit-on pas d’un pays dont le climat est doux, favorable, qu’il a un ciel clément?
Je m’empresse de reconnaître que toute cette étude explicative sur le sens originaire du prénom qu’ont porté la plupart de nos ancêtres n’est qu’un jeu de l’esprit. Il n’en est pas moins certain que le premier qui fut appelé Clément devait avoir ces qualités dont je m’amuse à retrouver la survivance chez les descendants de Clément Rosset.
A propos de prénoms, qui me dira jamais pour quelle raison mon arrière-grand-père Clément, l’aventureux, le premier de la famille qui abandonna le berceau séculaire, pour venir se se fixer à la Réunion, pourquoi ce Clément abandonna-t-il aussi le prénom traditionnel de sa famille pour appeler son fils Alfred ? Ce nom, que je porte d’ailleurs moi-même cent ans plus tard, était tout à fait d’époque alors, puisque mon grand-père est né en 1833. Mais ce choix prouve chez mon arrière-grand-père une tendance à s’évader de l’étroit chemin suivi jusqu’alors par ses ancêtres.
La destinée de ce Clément Rosset a été en tout point extraordinaire. Il est celui de la lignée qui a rompu avec un passé millénaire, et qui a donné le départ à une ascension lente mais continue qui va du paysan attaché à son sol au colon devenant propriétaire à la Réunion, puis au vétérinaire ayant d’importants établissements dans l’île, et enfin à l’ingénieur qui se fixe à Paris et s'installe, lui et sa descendance, dans les professions libérales.
Après l’ancêtre patronymique, dont la trace se perd dans la nuit des temps, et après des siècles de descendance paysanne étroitement localisée, mon arrière-grand-père fait figure de grand ancêtre. Et sa destinée est surprenante.
Nous avons bien vu que son propre grand-père, Clément VI, avait quitté le village ancestral du Moutaret pour venir se marier et se fixer à 1.200 mètres de là, à Mongaren, où meurt son fils Barthélemy en 1836. Le fils de ce dernier, mon arrière-grand-père Clément, quitte lui aussi à vingt ans le village, où le mariage devenait d’ailleurs presque impossible entre les membres des trois ou quatre familles constituant le hameau. Mais il va plus loin, cette fois-ci, que n’avait fait l’ancêtre au siècle précédent. Il va en effet se fixer non pas à douze cent mètres de là, mais bien à douze mille kilomètres, dans l’île de la REUNION où il se mariera, et où naîtra son petit-fils, mon père, soixante ans plus tard.
Je cherche en vain la raison de ce départ inexplicable. Quelle étrange destinée que celle de ce fils de paysans Dauphinois, incrustés depuis des siècles, depuis un millénaire peut-être, sur les quelques mêmes hectares où trente générations s’étaient succédé », qui abandonne à vingt ans un sol d’où il semblait que rien ne dût jamais l’arracher, et qui s’en va trouver au terme d’une navigation longue et pénible, dans une île perdue de l’Océan Indien, la terre où il se fixera et où il fera souche. Je ne puis m’empêcher de suivre par la pensée mon arrière-grand-père sur cette route des Indes, de revivre avec lui cette randonnée fantastique où tout devait être à la fois pour lui merveilleux et incompréhensible, lui dont la famille vivait depuis plus de mille ans dans un petit hameau de quatre maisons au milieu des sauvages montagnes du Haut Dauphiné!
J’ai cru longtemps que mon arrière-grand-père appelé par la conscription (c’était vers 1810) à servir dans l’infanterie de marine, avait été conduit à la Réunion par le hasard de la navigation, ou bien encore qu’il faisait partie du corps d’occupation de l’île, où des troupes envoyées de la métropole ont toujours été cantonnées depuis le milieu de l7ème siècle. Clément Rosset se serait alors décidé à rester dans l’île, une fois son temps de service achevé, séduit par le charme de ce paradis terrestre qu’est l’île de la Réunion au dire de tous ceux qui y ont vécu, et sachant d’autre part que l’existence serait difficile pour les seize enfants de son père Barhélemy si tous restaient à Mongaren. Cette explication semble la bonne. Mais j’ai découvert dernièrement la présence de deux Rosset à la Réunion antérieurement à l’arrivée de Clément dans l’île. Je trouve en effet trace du décès de Jean Baptiste Rosset en date du 13 février l774, et de Rosset, dit Petit Boin , décédé le 29 ventôse au III (l795). S’agit-il d’une simple coïncidence, ou bien ces Rosset là sont ils des cousins de la génération précédente, qui auraient servi d’exemple au jeune Clément ? Je crains de ne le savoir jamais.
Quand je pense que mon grand-père Alfred , né à la Réunion, avait vingt-quatre ans quand son père est mort, et qu’il a donc certainement tenu de lui-même, entendu de ses propres lèvres, le récit de l’arrivée dans l’île, l’explication de l’inexplicable départ de Mongaren, et que rien de tout cela n’est venu jusqu’à moi, je suis littéralement consterné. Rien, pas un mot, pas une lettre, pas un seul détail pouvant me mettre sur la voie ne m’a été légué par mon père. Je crois que lui-même n’avait rien appris à ce sujet de son propre père. Mon père et moi avions seize ans quand nous avons perdu notre père, et à cet âge-là j’ai constaté par moi même que l’on n’a absolument aucune curiosité à l’égard de ses ancêtres et de l’origine de sa famille.
J’en suis donc réduit à imaginer les conversations qu’avait, environ 1855, mon arrière grand-père Clément avec son fils Alfred. Je le vois lui racontant la vie qu’il menait à Mongaren , au milieu de ses nombreux frères et sœurs, dans ces pauvres maisons basses de la montagne, adossées les unes aux autres, et où tant d’autres Rosset, oncles, cousins, constituaient une bonne moitié de la population du Hameau. Il lui racontait aussi le départ, la grande aventure, et l’éblouissement de l’arrivée à la Réunion. Tout cela, hêlas! est perdu pour nous. Que n’avaient-ils, nos ancêtres, ce pressentiment de notre piété filiale, de ce désir de les mieux connaître, de pénétrer leurs pensées, qui nous étreint aujourd'hui!
Je n’aurai donc pu rassembler, au cours de mes recherches, que des noms et des dates. Il m’a fallu imaginer tout le reste, puisque rien d’autre n’est parvenu jusqu’à moi, et que tous ceux qui ont su et qui auraient pu transmettre l’histoire de la famille ne sont plus de ce monde. On n’interroge pas des tombeaux.
Dormez donc en paix, Rosset du Moutaret, Rosset de Mongaren, mes ancêtres. Je vous ai découverts tout récemment, après de bien longues recherches, et mon insistance à vous faire sortir de l’ombre, l’un après l’autre, n’avait rien de sacrilège. Ne m’en veuillez pas de vous avoir tirés du profond oubli où il semble que vous ayez voulu vivre pendant des siècles et des siècles, au creux de votre sauvage petite vallée. Vous y avez mené une rude et modeste existence, en marge du monde, dans l’effacement le plus complet, vous transmettant de génération en génération, à défaut d’autres biens, la force d’un sang riche et fécond, et la paisible honnêteté d’un nom intact. Je tiens l’un et l’autre de vous, et, tels que je les ai reçus, à mon tour je les transmettrai.
Madrid, 20 novembre 1935.
Alfred ROSSET
Nous continuons a écrire la suite chacun de notre coté, nous sommes plus de 50 cousins et cousines Rosset issus de notre Grand-mère Armanda Hoareau des Ruisseaux et Georges Rosset revenus de l'Ile de la Réunion et qui ont eu 12 enfants. Mon père Michel étant le 3ème.
A votre mémoire, vous tous de qui nous descendons.
Bernard ROSSET Lévis saint Nom le 10 Avril 2020